Mohamed Hadj BOUHOUCH

LA TURQUIE A LA RECHERCHE D'UN LIEN DE PARENTE

 

 

      Située aux confins de l’Europe et au début du continent asiatique, la Turquie, charnière et point de jonction entre les deux continents, est perdue entre les deux civilisations, et n’arrive pas à trouver, entre l’Est et l’Ouest, quelle direction prendre. Tournée plutôt vers l’Orient, de par la religion musulmane de l’écrasante majorité de ses habitants, elle garde cependant le regard fixé sur l’Europe dont elle a hérité les principes d’un Etat moderne et l’adoption de la laïcité, bien qu’il s’agisse d’une laïcité beaucoup plus théorique que pratique et continuellement menacée par un retour inéluctable aux sources originelles de l’Islam.

      Cette situation n’est pas le fait du hasard. La Turquie a vécu des siècles à cheval sur les continents européen et asiatique. L’empire turc qui a duré plus de 600 ans, de 1299 à 1923, s’est étendu sur pratiquement tout le Moyen Orient et sur une bonne partie de l’Europe du Sud Est, notamment : la Bulgarie, la Hongrie, la Serbie, la Bosnie, l’Albanie et une grande partie de la Grèce. Plusieurs de ces pays gardent encore aujourd’hui des vestiges et l’empreinte de ce prodigieux passé de l’Histoire turque. Il est donc tout à fait normal que le peuple turc soit à son tour imprégné des habitudes et des pratiques de vie des habitants de ces pays.

                 LES EUROPEENS NE VEULENT PAS DE LA TURQUIE

   Les sondages effectués en Europe sur l’adhésion éventuelle de la Turquie à l’Union Européenne, ont  montré que la majorité relative des personnes interrogées, soit 48% sont hostiles à cette entrée, avec des taux élevés en :

-         Autriche :       81%

-         Allemagne :   69% 

-         Luxembourg  69%

-         Chypre           68%

-         Grèce             61%

-         France            54%

   Pour Philippe de Villiers la Turquie n’a pas la vocation à entrer dans l’Union Européenne, car dit-il « ni sa géographie, ni son histoire, ni sa culture, ne font d’elle une nation européenne » La Turquie dit-il encore, « est un club de Musulmans ». Selon lui, l’entrée de la Turquie « signifierait en effet l’arrivée de 70 millions de Musulmans et de 300 millions de turcophones au sein d’un ensemble de 400 millions d’habitants ». Si la Turquie, crie de toutes forces, De Villers, entrait à l’U.E, il faudrait que la France quitte l’Europe » Voila qui est net.

     Dans une intervention à l’Assemblée nationale, en 2007, François Bayrou  a déclaré que «  l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne serait un risque de dissolution pour le projet européen »

    Pour les responsables du Modem « la Turquie n’est pas un pays européen. Son territoire se trouve à 90% en Asie. Seule sa tête, en l’occurrence la ville d’Istanbul est située en Europe. Or le premier critère d’appartenance à l’Union Européenne, fait-on remarquer, est l’européanité comme cela a été affirmé à l’occasion du refus des candidatures du Maroc et d’Israël dans les années 70.

    Giscard d’Estaing est également opposé à l’adhésion de la Turquie, laquelle pour lui n’est pas du tout un pays européen.

     Nous savons par ailleurs que Nicolas Sarkozy est farouchement contre l’entrée d’Ankara à l’Union Européenne et favorable juste à un accord de partenariat. Au cours de toute la campagne électorale, il n’a pas cessé de préciser que la Turquie est un pays d’Asie Mineure.

     Seul le PS laisse la porte ouverte. Mais nous savons que c’est plutôt pour ne pas s’aligner sur la position de la droite. Rappelant la décision prise à l’unanimité le 12 octobre 2004 par le bureau national, Julien Dray, porte parole du parti, a déclaré le 13 décembre 2004 «  les conditions de l’adhésion turque ne sont pas réunies aujourd’hui, mais que les discussions devraient se poursuivre en laissant toutes les options ouvertes, qu’il s’agisse d’une adhésion ou d’un partenariat privilégié avec l’Union Européenne. »

   COMMENT LES MUSULMANS VOIENT CE REFUS ?

    Certaines déclarations de politiques français n’ont pas laissé indifférents aussi bien les Musulmans de France, que la communauté musulmane en général et les Turcs en particulier.

    Les arguments avancés par De Villiers et François Bayrou ont été jugés plus qu’offensants et xénophobes. François Bayrou rejette catégoriquement l’entrée de la Turquie à l’Europe, afin dit-il de garantir un espace cohérent. Pour lui l’adhésion de la Turquie à l’Europe changerait la nature de l’Europe.

    Pour Julien Bartoletti (12/3/2007) Bayrou dit cela parce que la Turquie est un pays à majorité musulmane. « On peut en déduire, dit-il, que pour Bayrou, cette nature de l’Europe dont il parle, serait d’essence chrétienne. Apparemment pour le Béarnais, l’identité et la nature de l’Europe ne peuvent se fonder que sur la chrétienté. »

    De même, la crainte principale de De Villiers n’est pas motivée en réalité par une question de géographie ou d’histoire ou du génocide arménien, mais bel et bien par la peur d’un déferlement sur l’Europe de 70 millions de Musulmans, rappelant en cela le déferlement barbare en Gaule dans le passé.

     Ce genre d’attitude de personnalités européennes a fini par exaspérer la plupart des observateurs musulmans qui voient en ce rejet, une humiliation et une insulte pour leur religion, leur culture et toute leur civilisation.

      L’acceptation au cours de ces dernières années, d’un certain nombre de pays européens de l’ancien bloc de l’Est, qui n’ont affirme-t-on, ni l’histoire et le passé glorieux de la Turquie, ni sa puissance économique, ni le niveau culturel du peuple turc, est la meilleure preuve que ce ne sont pas les droits de l’homme, ni le degré de démocratie dans ces pays qui ont été à l’origine de leur admission au sein de l’Union Européenne.

     Le principal argument du « rejet » de la candidature turque à son adhésion à l’Europe réside explique-t-on, dans sa situation géographique en Asie Mineure. Mais, soulignent certains observateurs,  pourquoi un grand nombre de départements français font partie de l’Union Européenne, alors qu’ils sont situés en Amérique du Sud telles, entre autres, la Guadeloupe (Aux Antilles), La Martinique (dans la  Mer des Caraïbes), la Guyane (en Amérique du Sud), la Réunion (Au Sud Ouest de l’Océan  Indien) ? Pourquoi les Iles Canaries au Sud du Maroc, les villes de Ceuta et Melilla, sur la cote méditerranéenne du Royaume marocain,  font-ils partie intégrante de l’Union Européenne ?  Est-ce que Messieurs Giscard D’Estaing, ou De Villiers ou Bayrou  auraient contesté l’appartenance de l’Algérie française à l’Union Européenne si ce pays, avec ses trois départements (Oran, Alger et Constantine) faisait encore partie de la France ? Pourquoi dans ces conditions accepter une Algérie française et refuser une Algérie indépendante ? Est-ce que les opposants à l’adhésion de la Turquie se sont un jour posé des questions sur les peuples de tous les départements d’outre mer : leurs religions, leur culture et leurs origines ? Est-ce que, dit-on, l’Union Européenne sera plus hétérogène, avec la Turquie, qu’elle l’est, aujourd’hui, avec ses composants actuels ?

     Pour un grand nombre d’observateurs, même européens, le fait de refuser d’admettre la Turquie au sein de l’Union, relève beaucoup plus d’un sentiment de racisme et de rejet envers les Musulmans, que de considérations d’ordre géographique, ethnique, culturel ou autre.

                        QUELLE ALTERNATIVE POUR LA TURQUIE ?

   Après tout ce qu’on vient d’exposer, il faut reconnaître que la Turquie n’a aucun avenir au sein de l’Europe. L’intervention de l’Occident dans certains pays musulmans, tels l’Irak, l’Afghanistan et demain peut-être, au Soudan et en Iran, attise de plus en plus la haine et les antagonismes entre les l’Occidentaux et les communautés islamiques. La proximité de la Turquie de ce terrain de tension qu’est le Moyen Orient, avec le conflit israélo-palestinien, les circonstances actuelles au Liban, en Irak et en Afghanistan, est une situation qui ne plaide pas, du moins pour le moment,  en faveur d’une ouverture de l’Europe sur cette partie de l’Asie. La Turquie peut en effet constituer une barrière de protection de l’Europe, comme elle risque de devenir un pont de passage et une porte d’entrée pour des actions terroristes.

       Il va donc de l’intérêt, aussi bien de la Turquie que de l’Europe, de s’orienter vers une autre forme de relations, tel un partenariat privilégié avec l’Union Européenne, comme cela a été suggéré par le président Sarkozy. De plus, la Turquie aura également toute sa place dans le projet de l’Union pour la Méditerranée au même titre que tous les autres pays du Sud.

       Etant un pays dont une partie des habitants appartiennent à la communauté kurde, la Turquie doit également développer ses relations avec les Etats voisins, Syrie, Irak, des pays musulmans, en voie de développement, ayant les mêmes caractéristiques démographiques et ethniques, avec lesquels elle partage les eaux du Tigre et de l’Euphrate et entretient de multiples rapports sur les plans économique et culturel.  

     

 



28/10/2008
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