Mohamed Hadj BOUHOUCH

UNE ÂME DE DIABLE dans la peau d'un ange

                            

 

 

                          UNE ÂME DE DIABLE

                                      Dans la peau d’un ange

 

        Jehanne avait dix sept ans à peine, quand elle épousa Mahmoud. Elle était une jeune garce, brune et mince, à la chevelure ébouriffée, aux yeux hagards, qui parlait toujours avec beaucoup de gestes et se tordait de rire pour n’importe quoi. Ayant quitté l’école après une courte scolarisation, elle avait une culture primaire très superficielle. Aucune des ses petites camarades du quartier ne misait gros sur son avenir. Jehanne était normalement condamnée à rester longtemps, sinon toute sa vie, une vieille fille.

          Ceux qui disaient cela de Jehanne ne la connaissaient pas vraiment ou ignoraient tout simplement son secret. Cette jeune fille était en effet d’une douceur et d’une féminité exquises. Elle avait des yeux au regard à la fois troublant et hypnotiseur, un regard qui séduisait et asservissait, au premier coup d’œil, toute personne sur laquelle elle jetait son dévolu. Elle possédait en effet un charme irrésistible qui lui permettait d’avoir un ascendant sur son entourage qu’elle arrivait irrémédiablement  à subjuguer et à  dominer .Mahmoud fut le premier à succomber à cette fascination. Il l’aima de toutes ses forces, l’épousa et eut avec elle quatre enfants.

          Durant les premières années du mariage, Jehanne fut uns femme adorable, attachante et  voluptueuse. Elle faisait tout pour plaire à son mari, pour l’attirer davantage vers elle et acquérir sa confiance totale. Puis, peu à peu, elle commença à lui faire croire que c’était elle qui avait besoin de plus d’affection et plus de sollicitude. Elle ne cessait plus de lui dire qu’elle n’avait plus confiance en la vie et qu’elle appréhendait l’avenir avec beaucoup de scepticisme.

          Au fur et à mesure que le temps passait, Jehanne s’est enfermée dans un obscurantisme religieux dont elle n’arrivait plus à s’en sortir. L’amour de la vie, des enfants, du conjoint et des proches, disparaissait au profit d’un certain nombre de principes religieux souvent altérés et déformés par leur circulation de bouche à oreille et leur analyse dans des exposés et des examens complètement erronés. En effet, dans la société musulmane actuelle, tout un chacun se transforme en théologien, se croit être détenteur de la vérité et savoir comment accéder au paradis.

           Dans le cas de Jehanne, cet état de chose provenait de son complexe, en tant que femme analphabète, vivant au sein d’une famille de lettrés. Comme la plupart des partisans des sectes religieuses, illuminés et intolérants,  Jehanne devint subitement dogmatiseur et se mit à dicter ses opinions d’une manière absolue et sentencieuse. Elle seule croyait posséder la science infuse, connaitre le droit chemin et la signification exacte des prescriptions religieuses. Son mari, haut fonctionnaire de l’Etat et ses enfants, universitaires, devaient tous l’écouter sans discuter et sans faire de commentaires.

          Un jour, elle fit comprendre à son mari qu’elle voulait se lancer dans le monde des affaires pour devenir riche et respectée. Mahmoud n’avait jamais cherché à en vouloir à son épouse, pour quoi que ce soit, ni voulu la condamner, pour la simple raison qu’il n’avait jamais pu, lui-même, situer avec précision chez Jehanne, la frontière entre le coté diabolique et l’aspect angélique. C’était  une femme chez laquelle il relevait une extraordinaire contradiction entre le verbe et les actes. Autant elle prêchait le pardon et la clémence, la sobriété et le sacrifice de soi, autant elle était rancunière et méchante, monopolisatrice, rapace et grippe-sou. Mahmoud qui l’aimait en dépit de tous ses défauts, espérait la récupérer en la comblant de richesse. C’est ainsi qu’il lui céda pratiquement toute sa fortune et en fit une femme riche et distinguée. Malheureusement, plus elle en avait et plus son engouement pour l’argent devenait plus fort et plus vicieux.  Bien plus, Jehanne devint trop fière d’elle-même, voire arrogante et insupportable. Elle n’acceptait plus aucun contrôle ni même la moindre remarque sur la gestion  de ce patrimoine qui appartenait en réalité et en premier lieu, à son mari. Jehanne n’aimait pas dépendre des autres et préférait plutôt que ce soient les autres qui aient recours à elle. Cela faisait partie de son caractère. D’ailleurs elle ne tolérait jamais qu’on lui dît que son mari fut à l’origine de sa fortune. Pour elle, si elle était devenue riche, c’était grâce à la volonté de Dieu et surtout grâce à son savoir faire. Mahmoud, finalement ruiné financièrement et rongé par la maladie (diabète et hypertension) décida tout simplement de fuir Jehanne. Et ce fut le divorce. Mahmoud alla s’installer, tout seul, dans un petit appartement de location, laissant  à Jehanne les quatre enfants dont le dernier avait à peine quatre ans et demi, et toute sa fortune acquise après trente ans de labeur.

 

        A partir de ce moment Jehanne allait montrer son vrai visage, celui du démon qui l’habitait. En effet, tout en ayant toutes les caractéristiques spécifiques du genre humain,  Jehanne était l’émanation du diable dont elle incarnait l’esprit du mal et le pouvoir ensorceleur. Tous ses traits humains disparurent d’un seul coup, cédant la place à une nature animale où la fonction primaire  devint dominante. Ses beaux yeux devinrent rouges et sanguinaires, sa douceur se transforma en férocité. Avant de parler, elle sortait débord ses griffes et s’apprêtait à gifler et à mordre son interlocuteur. Ses enfants n’avaient jamais droit à la parole. Pour elle, le fait de leur avoir donné naissance, lui octroyait  tous les droits sur eux, y compris celui de les insulter et de les frapper.

        Bien que s’étant accaparé de toute la fortune de leur père, elle refusait de leur acheter quoi que ce soit et leur demandait d’aller voir, pour cela, leur géniteur. A la maison, ils étaient maltraités et affectés à des travaux domestiques tels que laver quotidiennement la vaisselle pour la fille et vider la poubelle pour le garçon. La moindre remarque de leur part, était considérée comme une insolence, et c’était la gifle. Ces pauvres enfants ne restèrent pas avec elle plus de trois mois, avant de fuir, à leur tour, pour rejoindre leur père.

        Jehanne restée seule devint plus pernicieuse et en voulait à tout le monde. A chacun des membres de sa famille elle essayait de trouver un défaut pour le condamner et le marginaliser. Elle seule suivait les directives de Dieu et elle seule suivait la voie divine. La pauvre dame était tout simplement devenue folle. Sa folie était cependant d’un genre un peu particulier. A l’entendre parler des choses de la vie, on dirait qu’on avait affaire à une sainte, mais il suffisait d’aborder avec elle un sujet important ou une question matérielle pour s’apercevoir que toutes ses paroles n’étaient  nullement fondées et dites sans aucune conviction, des paroles basées sur des considérations générales ou relatives à des comportements soit disant du Prophète, comportements qui n’avaient et n’ont rien à voir avec le commun des mortels  et le monde ici bas et plus particulièrement avec ses propres actes. Jehanne ne savait pas, en effet, qu’il était insensé de se référer à des prescriptions religieuses alors qu’elle transgressait elle-même et à longueur de journée, les règles les plus élémentaires de la religion, en ruinant son propre conjoint et en maltraitant et en reniant sa propre progéniture.

 

        Plus de vingt ans se sont écoulés. Les enfants avaient grandi, s’étaient mariés et avaient maintenant leurs propres enfants. Jehanne était restée la même. Bien plus, sa situation s’était même empirée. Une société que son mari lui avait montée, fit faillite, plusieurs propriétés immobilières mal entretenues étaient en état de délabrement. Pendant ce temps, Jehanne faisait le tour des mosquées et des Zaouïas de marabouts. Une fois sortie de ces lieux, elle devenait elle-même prêcheuse.

         Jamais Mahmoud n’aurait imaginé que la femme qu’il avait tant aimée et à laquelle il fit confiance en lui cédant la totalité de ses biens immobiliers, allait virer de la sorte et sombrer dans une telle médiocrité. Avant de partir, Mahmoud avait pourtant tout tenté pour sauver la mère de ses enfants. Il entreprit avec elle plusieurs voyages à l’étranger et notamment en France, en Espagne, en Suisse, en Suède, en Finlande. Il lui fit visiter les Etats Unis, la Turquie, l’Egypte mais Jehanne ne changeait pas. Il comprit finalement que la maladie dont souffrait sa femme était inguérissable. Il semblerait même qu’il y aurait quelque chose d’héréditaire dans le comportement et l’état mental de Jehanne. Plusieurs membres de sa famille avaient en effet des comportements anormaux.

       De leur coté, les enfants, devenus adultes, tentèrent à leur tour toutes les possibilités pour s’approcher de leur mère, sans résultat. Pour elle, ces créatures qui portaient les spermatozoïdes de leur père, ne méritaient pas d’avoir sa confiance et devaient rester loin d’elle, jusqu’à la fin de sa vie. A leur proposition de les accompagner chez un docteur psychiatre, elle répondit par des insultes, prétendant qu’elle jouissait de toutes ses facultés mentales.

       C’est là, toute l’histoire de Jehanne, qui fut dans sa jeunesse une jeune fille pleine de vie, de grâce, de tendresse et d’amabilité. Aujourd’hui, elle est une  femme qui n’est en réalité ni folle ni sensée, mais tout simplement habitée par le diable. Encore une fois, Mahmoud ne lui en voulait pas. Il ne cessait jamais de le répéter à ses enfants. Cet homme ne s’est d’ailleurs jamais départi du souvenir de son épouse des premiers jours. Chaque fois qu’il allait à la plage de Skhirate dans la banlieue de Rabat, il ne pouvait pas ne pas se remémorer un certain passé, celui du début de leur mariage. Cette plage est en effet un site qui avait marqué leur vie d’une empreinte ineffaçable.

       Mahmoud se rappelait toujours de leur cabanon et de ce beau paysage d’une mer bleue dont les vagues, un peu nerveuses, venaient fouetter les vieux rochers où ils allaient, tous les deux, cueillir des moules. C’était sur cette plage où, plus de trente ans auparavant, leur amour était né et avait pris forme, et c’était là où leurs destinées s’étaient télescopées pour se fondre et ne plus former qu’une seule. Mahmoud faisait souvent à pied ce trajet qui sépare leur cabanon du restaurant de l’Amphitrite. Tout semblait lui parler sur cet itinéraire : le sable doré, les coquillages  et les galets multicolores, polis par le temps.

        Pourtant quelque chose manquait toujours à ce tableau…une certaine image, celle d’une jeune et belle créature que Mahmoud avait connue et qui restait encore très vivace et présente dans sa mémoire, bien que physiquement invisible. Il lui semblait encore entendre sa voix et ses éclats de rire, dans le bruit sourd des vagues et percevoir toujours son reflet à travers les rayons tremblants du soleil couchant…Et c’était toujours avec peine qu’il quittait cette plage parsemée de leurs souvenirs communs, non sans avoir, au préalable et longuement reniflé cette odeur de l’iode et des algues dont Jehanne aimait  toujours s’enivrer.

 

                                                           MOHAMED BOUHOUCH

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

       

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

         

 

            

                                                                                                                                                                                                                  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



12/03/2009
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