FATIMA, entre l'amour et la mort
F A T I M A
Entre l’amour et la mort
Adil et Fatima ont vu le jour et grandi dans le même quartier de l’Aviation à Rabat. Après l’école primaire, ils se sont retrouvés dans la même classe au collège Takadoum. De bons élèves tous les deux, ils s’étaient toujours disputé les premières notes et bien entendu la première place dans le classement mensuel.
Bien qu’un peu mince et de petite taille, Fatima était une jeune fille charmante, très éveillée et de fréquentation agréable. Certains de ses camarades garçons la trouvaient cependant quelque peu réservée ; mais en réalité Fatima était tout simplement une fille sérieuse qui ne sympathisait pas avec le premier venu. C’était d’ailleurs ce coté là qui la distinguait des autres élèves et la faisait estimer de ses professeurs et surtout de son ami Adil. On la voyait jamais rire aux éclats, et quand elle souriait, son visage prenait un charme exquis et ses yeux noisette, pétillant d’intelligence, captivaient le regard et séduisaient l’interlocuteur.
Après le collège, Adil et Fatima se retrouvèrent au Lycée Dar Essalam, encore ensemble et dans les mêmes classes jusqu’au baccalauréat qu’ils obtinrent, tous les deux, avec mention. Pour ne pas se séparer, ils décidèrent de s’inscrire tous les deux pour une licence de lettres, question de passer encore quatre ans, proches l’un de l’autre.
Adil et Fatima ne se quittaient plus que le soir, pour rentrer chez eux. A la faculté, à la bibliothèque et un peu partout, ils étaient toujours ensemble, chose qui, à la longue, n’a pas laissé indifférents les parents de Fatima pour lesquels il fallait soit officialiser et sceller cette union par des fiançailles, soit éviter à l’avenir que Fatima ne parût trop fréquemment en compagnie du jeune homme, ce qui risquerait indubitablement, selon eux, de lui coller une étiquette nuisible à son avenir. La société marocaine est ainsi faite. Les préoccupations des parents de Fatima, n’étaient pas pour déplaire aux deux amis étudiants. Bien au contraire, Adil comme Fatima accueillirent l’idée avec empressement et enchantement. Adil, un peu gêné pour avoir tardé à demander la main de Fatima, fit comprendre à celle-ci qu’il n’attendait que la fin de leur quatrième année universitaire pour la demander en mariage.
- Je comprends bien l’inquiétude manifestée par ta famille, lui dit-il. J’aurais agi de la même manière s’il s’agissait de ma sœur. En vérité je ne pouvais pas imaginer autrement notre avenir. Nous sommes faits l’un pour l’autre ; et, en ce qui me concerne, tu ne peux pas savoir combien je tiens à toi, et le bonheur que je ressens à présent en sachant que tu vas être mon épouse.
- J’éprouve moi aussi les mêmes sentiments répondit Fatima; et à mon tour, je t’avoue que je ne me voyais pas vivre avec un autre homme que toi.
Les fiançailles furent célébrées officiellement et en présence des membres des deux familles et d’un grand nombre de camarades de la faculté. La date du mariage ne devait être fixée cependant qu’après la fin de leurs études et après avoir trouvé un emploi et un logement. En attendant, Adil et Fatima vivaient déjà en véritable couple, voyageaient ensemble et faisaient un tas de projets pour leur avenir.
A la fin de la deuxième année universitaire, Adil et Fatima passèrent avec succès le concours d’accès à l’ENS, où, tout en préparant une carrière de professeurs, ils allaient terminer leur licence de lettres. En accédant à l’école nationale supérieure, ils étaient donc devenus fonctionnaires et pouvaient par conséquent commencer à rêver à leur futur appartement, aux meubles qu’ils allaient acheter et à leur mariage.
Le temps passa très vite. Adil et Fatima n’étaient plus qu’à trois mois de l’obtention de leur diplôme de professeur. La seule question qui les préoccupait encore, restait à savoir s’ils allaient être affectés dans la même ville ou chacun dans une région différente. Avant donc de procéder à la location d’un appartement et de commencer les préparatifs du mariage, il fallait attendre les décisions d’affectation, lesquelles ne devaient intervenir que quinze à vingt jours après le concours de sortie, résultat à l’issue duquel les désignations des villes d’affectation se feraient suivant le classement de chacun. C’est dire toute l’incertitude qui planait encore sur leur avenir. En attendant, il fallait profiter des vacances. Mais n’ayant pas les moyens de voyager ensemble, ils étaient obligés de prendre des directions différentes pour passer quelques jours au sein de leurs familles respectives, Adil partit à Agadir chez son oncle et Fatima alla chez sa sœur à Casablanca.
Fatima ne dépassa pas plus de trois jours avant de rebrousser chemin et de regagner Rabat en catastrophe. Que s’était-il passé ? Un soir en enlevant son soutien gorge, elle constata quelque chose d’anormal au niveau de son sein droit, comme un point un peu dur au toucher Le lendemain, chez le médecin, la mammographie a montré une opacité irrégulière avec un épaississement de la peau du mamelon Sur le conseil du docteur, il fallait absolument faire procéder à un certain nombre d’examens complémentaires et notamment une échographie, une cyto-ponction pour affirmer le diagnostic histologique
Une fois à Rabat, et après les différents examens radiologiques et de laboratoire, il s’était avéré qu’il s’agissait d’une tumeur maligne. Fatima fut complètement bouleversée Elle savait maintenant qu’elle allait subir l’ablation du sein malade et vivre plusieurs mois dans une terrible et horrible attente de la mort, une existence en sursis, sombre et incertaine, une vie avec laquelle il fallait pourtant se faire Mais Fatima refusait justement d’admettre cette triste réalité qu’elle rejetait de toutes ses forces
- Pourquoi mon Dieu, ne cessait-elle pas de répéter, pourquoi moi ? Et pourquoi à mon âge ? Quel crime ai-je commis pour subir une telle sentence ? A la veille de me marier me faire ablater d’un sein …Quelle poitrine pourrais-je désormais exhiber à mon futur mon mari.
Pendant qu’elle se lamentait, Fatima n’arrêtait pas de verser des larmes qui jaillissaient involontairement de ses yeux enflammés. En quelques jours, Fatima avait complètement changé. Un grand chaos régnait maintenant dans son esprit. Elle avait l’impression qu’on lui avait volé sa vie. Elle perdit le sourire et son enthousiasme habituel se transforma en affliction. Ses proches et amis ne la reconnaissait plus. Devenue d’émotion facile, elle s’est laissée gagner par une certaine indifférence à tout ce qui l’entourait, avec toujours le regard dans le vague, un regard qui exprimait désormais l’épuisement et la souffrance.
Adil très affecté par tout ce qui arrivait à Fatima et surtout inquiet pour son état de santé, faisait tout son effort pour ne pas laisser apparaître son angoisse, question de ne pas alarmer davantage la malade. Il ne cessait pas de lui dire qu’elle allait guérir, que la médecine avait beaucoup évolué et que les tumeurs du sein ne présentaient plus le même danger que dans le passé. Mais Fatima n’écoutait plus ce genre de paroles rassurantes En réalité, elle n’avait pas peur de mourir. Ce qui l’inquiétait et la chagrinait le plus, c’était l’idée de s’imaginer handicapée, avec un sein ablaté et toutes les cicatrices qui allaient rester après l’opération chirurgicale. Elle ne voulait en aucun cas devenir une charge pour son mari ni être aimée par compassion.
Fatima a toujours été fière de sa personne et confiante en son avenir mais voila qu’elle allait maintenant marcher contre le vent. Ce qu’elle appréhendait arriva. L’opération gâcha son physique. Après l’ablation d’un sein et le curage ganglionnaire axillaire qui a complété la chirurgie, sa poitrine était devenue difforme. Les amis qui la rencontraient n’osaient même plus la regarder dans les yeux et essayaient tous, de l’amadouer, et de lui expliquer que l’essentiel était de continuer à vivre. Elle savait que personne de ces gens n’aurait voulu être à sa place. Elle préférait donc qu’on ne lui dît rien. Elle ne voulait d’ailleurs plus qu’on lui parlât de ce sujet. La seule personne qui avait droit à voir sa cicatrice était Samira, son amie intime et une voisine du même âge qui avait également réussi au concours de l’ENS. C’était d’ailleurs cette dernière qui lui nettoyait la plaie et lui changeait les pansements.
Adil fut affecté à Kenitra ainsi que Samira. Quant à Fatima, elle déposa un certificat médical de longue durée. La désignation de l’établissement où elle devrait exercer, lui a-t-on dit, lui serait indiquée ultérieurement. Pour le moment elle avait toute une série d’actes médicaux à faire.
- une chimiothérapie pendant six mois
- une radiothérapie pendant six semaines
- une hormonothérapie durant cinq ans, soit une période de presque six ans durant
laquelle, elle allait vivre le calvaire de l’incertitude, du doute et de la peur…Allait-elle guérir définitivement ou mourir ? Une question qui restait toujours sans réponse.
Pendant ce temps là, Adil et Samira faisaient la navette, matin et soir, entre Rabat et Kenitra, une ville située à quarante kilomètres de la capitale. Et tous les jours en rentrant, ils passaient tous les deux chez Fatima pour s’enquérir de sa santé et de son moral. C’était difficile pour cette jeune fille de voir son fiancé aller et venir avec une autre femme, voyager quotidiennement en sa compagnie, pendant qu’elle restait là, toute seule, condamnée à surveiller l’évolution de sa maladie. Toute la journée, elle ne pensait qu’à ça. Des tas de choses et de suppositions lui passaient par l’esprit. Samira, une jeune fille très belle, allait-elle plaire à Adil ? De quoi parlaient-ils au cours de leurs allers et retours ? A la défaillance physique s’ajoutait ainsi une dépression nerveuse. Enfin de compte, rongée par le dépit et la jalousie Fatima finit par craquer. Elle ne voulait plus voir personne et plus particulièrement Adil, ce jeune homme qu’elle aimait pourtant plus que tout au monde. Elle ne pouvait plus, en effet le voir, sans penser à l’opération qu’elle venait de subir et à ses conséquences fâcheuses sur l’esthétique de son corps, elle ne pouvait plus l’embrasser ni même le regarder sans risquer de lire dans ses yeux l’expression d’un embarras quelconque. C’était du moins c’est ce qu’elle imaginait.
Il serait absolument faux d’affirmer que rien n’avait effectivement changé dans l’esprit d’Adil. Bien que son attitude fût jusqu’à présent, un peu la même, faisant preuve de beaucoup de tendresse et de compassion à l’égard de sa fiancée, Dieu seul savait ce que cachait au fond de lui-même, ce jeune homme pour lequel Fatima n’était encore ni une épouse ni la mère de ses enfants, mais une simple amie à laquelle il avait fait une promesse officielle de mariage. Et c’était justement ce qui inquiétait Fatima et la rendait nerveuse.
Nous l’avons déjà dit, Fatima avait beaucoup de dignité et était fière de sa personne. Elle n’admettrait jamais la moindre faiblesse de sa part. C’est pourquoi elle préféra devancer les événements et prendre la décision qui lui paraissait être la plus honorable. Elle fit donc savoir à Adil au téléphone, qu’elle rompait ses fiançailles avec lui et le laissait par conséquent libre de tout engagement.
Moins d’un quart d’heure après, Adil était chez Fatima. Dès qu’elle le vit elle ne put se retenir et fondit en larmes. Adil qui avait lui-même les yeux mouillés, alla vers elle et la prit dans ses bras.
- Ecoute chérie, je sais que tu es très éprouvée, mais ne m’as-tu pas toujours dit que l’être humain devait constamment avoir la fierté de ne jamais plier face au destin, quelque injuste et cruel qu’il puisse être ? Je t’ai toujours connue comme étant sage et courageuse…Alors c’est maintenant le moment de me le prouver.
- Comme d’habitude Adil, répondit Fatima, tes paroles sont pleines de douceur et de générosité. Mais quand la réalité est amère, seul la sent celui qui la subit. Un malheur m’a frappé, j’entends assumer pleinement ma condition. De plus tu m’as connue et aimée comme une jeune fille sans problème. Aujourd’hui, je suis un être handicapé.
- Tien ! Qu’est-ce que j’entends ? Et si c’était moi qui aurais subi l’amputation d’un pied ou d’une main, m’aurais-tu repoussé et abandonné ? Hein ? Ecoute ma bien aimée, je ne veux plus entendre de ta part la moindre bêtise de ce genre. Quand j’ai décidé de demander ta main et de lier mon destin au tien, je ne l’ai pas fait pour ton seul physique, mais avant tout, pour toi, pour ton caractère, ton éducation, ton intelligence et pour toutes les qualités innombrables qui sont les tiennes. De plus quand on décide de se marier, on s’unit pour le meilleur et pour le pire. Je t’ai aimée Fatima parce je voyais en toi une fille extraordinaire, eh !bien pour moi, rien n’a changé. Tu es toujours mon amour et la femme qui me plaît.
Pendant qu’Adil parlait, Fatima n’avait pas cessé de pleurer. Puis, avec une gorge nouée par l’émotion et un petit sourire arrosé par les larmes, elle dit à Adil.
-Je ne sais pas, mon chéri, comment t’exprimer ma reconnaissance pour ta bonté et ta compréhension. Je savais que tu m’aimais mais j’ignorais que j’occupais dans ton cœur une place aussi grande et aussi privilégiée. Merci Adil, et sache que si je vivrai ou mourrai, j’aurais toujours pour toi la plus grande estime et un amour infini.
Adil tint à célébrer son union avec Fatima dans les trois mois qui ont suivi. Il veillait lui-même, et de très près, au respect des différentes étapes du traitement et au maintien d’un bon moral chez son épouse.
Six ans passèrent. Fatima guérit complètement de son méchant cancer et les deux époux vécurent très heureux.
MOHAMED BOUHOUCH