Mohamed Hadj BOUHOUCH

UNE AFFAIRE DE FAMILLE

                                        UNE AFFAIRE DE FAMILLE                

 

        Renflement du moteur, trois coups de klaxon, cri strident du graisseur qui donna le signal du départ et le car démarra enfin, avec vingt cinq minutes de retard sur son horaire. Le chauffeur expliqua aux voyageurs qu’ils avaient beaucoup de chance ce jour là. D’habitude ajouta t-il, la bon vieux car s’ébranle avec plus d’une heure et demie après l’heure prévue.

            Tout cela importait peu pour Fouad qui avait pris un billet Rabat-Agadir. Neuf heures et demie ou dix heures, c’était kif kif, une nuit entière à passer, collé à un siège inconfortable et à renifler des odeurs pas toujours agréables. Au premier coup d’accélérateur, chaque passager redressa le torse, plaça une main sur le siège avant et l’autre sur le coté. Question de sécurité ou d’équilibre, Fouad n’en savait rien. Il le fit comme tout le monde, sans trop y réfléchir. Fouad qui n’avait pas encore fait suffisamment d’économie pour acquérir une voiture, s’était habitué à ces longs trajets par car. De plus, il avait pris toutes ses dispositions pour ne pas s’ennuyer : deux paquets de cigarettes, des revues et un transistor.

            Cela faisait maintenant presque trente minutes que le véhicule roulait. Il avait traversé toute la ville de Rabat et dépassé la petite localité de Témara. Plusieurs voyageurs dormaient déjà. Fouad enviait ceux parmi eux qui portaient une djellaba Il leur suffisait de rabattre le capuchon sur le visage pour ne plus penser à la route. Fouad n’aime cependant pas, quant à lui dormir en voyage. Il trouve désagréable d’être réveillé en sursaut, à chaque secousse et à chaque coup de frein, encore supportables  quand il s’agit de courts trajets ou quand on est à bord d’une voiture automobile. Mais là, Fouad avait six cents kilomètres à parcourir à petite vitesse et plus de dix heures à attendre, à moitié endormi, les yeux ni ouverts ni fermés.

            Fouad n’avait pas envie de lire ce soir là et ne faisait que griller cigarette sur cigarette pour se dégourdir et passer le temps. Son esprit était fort préoccupé par sa situation personnelle. Il était venu justement à Rabat, en permission de quatre jours pour s’entretenir avec sa mère au sujet de son avenir. La vieille femme l’avait harcelé toute une semaine auparavant, lui reprochant en permanence de vivre ainsi tout seul, loin de la famille. S’il arrivait à sa mère d’admettre, des fois, que son fils était obligé de servir la société qui l’employait, là où ses patrons avaient besoin de lui, elle lui faisait par contre endosser toute la responsabilité  de sa solitude et ne cessait pas de lui répéter  «  Qu’à vingt sept ans, mon fils, quand on a terminé ses études et trouvé un travail, on ne reste pas, comme toi, encore  célibataire ».

            Cela faisait maintenant dix mois environ que Fouad se trouvait à Agadir. Durant tout ce temps là, et avec chaque courrier que sa mère lui adressait, elle lui envoyait la photo d’une demoiselle. C’était pour la plupart  des voisines ou de jeunes filles qu’elles rencontraient à l’occasion des nombreuses cérémonies de mariage, de naissance et autres, auxquelles sa mère bien connue dans le quartier El Gza de Rabat, était conviée. Aucune de ces photos que Fouad avait reçues n’eut la chance de lui plaire, voire même de capter un moment son attention. Il n’a jamais osé néanmoins le dire à sa mère.

            Il faut reconnaître qu’un jeune homme est toujours et avant toute autre chose, attiré par le seul coté physique de la femme. Fouad voulait, comme tout le monde, une épouse belle, avec de beaux yeux, une belle chevelure, une belle taille. C’est ainsi qu’il imaginait la femme de sa vie, sans jamais penser au reste. Or c’était justement et uniquement à ce reste là, auquel sa mère s’intéressait en premier lieu. Elle lui faisait écrire dans le petit commentaire qui accompagnait chaque photo, qu’il s’agissait  d’une fille de bonne famille, bien éduquée et connaissant parfaitement toutes les recettes de la cuisine marocaine.

 

 

              Pour sa dernière candidate, sa mère ajoutait, et pour la première fois, que la fille était très douce, intelligente et d’un très bon tempérament. Fouad n’est pas un grand physionomiste, mais en regardant la photo de cette jeune fille, il crut apercevoir tous les traits de caractère soulignés par sa mère. Il décida donc de se rendre à Rabat pour la voir. Il fallait d’ailleurs au moins une fois, faire plaisir à sa vieille mère qui éprouvait tant d’affection pour lui et qui ne voulait, après tout, que son bonheur. C’est précisément pour cette raison que Fouad s’était déplacé d’Agadir à Rabat où il passa trois jours en famille.

              Il faut dire que ce fut, là, le seul résultat positif de son voyage. Pour ce qui est de la candidate, la maman de Fouad n’avait pas bien pris tous les renseignements sur la jeune fille, laquelle était, depuis un an déjà, promise à son cousin, fonctionnaire dans une ambassade marocaine en Europe.

              Fouad n’en voulut pas, pour autant, à sa chère mère. Elle ne pouvait pas, la pauvre vieille, deviner que la jeune fille était déjà fiancée. La seule responsable de cette gaffe est la sœur de Fouad qui venait de lier connaissance avec cette nouvelle voisine, avec laquelle elle échangea des photos.

 

             Louizia, la localité de Louizia hurla le chauffeur du car, interrompant subitement la rêverie de Fouad et arrachant de leur somnolence, les autres voyageurs déjà dérangés par le grincement aigu des freins et la lumière des lampadaires de l’unique avenue de Louizia. Relèvement des capuchons, frottement des yeux, tous les passagers redressèrent le buste. Les mêmes questions fusaient de tous les coins du car : Où sommes-nous ? Quelle heure est-il ? C’étaient là les seules réactions des voyageurs avant de s’affaisser à nouveau sur leurs sièges. Puis le car redémarra, le silence se rétablit et l’on n’entendait plus que le bruit monotone et berceur que produisent les pneus sur l’interminable chaussée.

            Cette fois-ci Fouad était fatigué de faire le veilleur. Il voulait roupiller comme tout le monde. Il se laissa doucement glisser en avant sur son siège étroit, ajusta comme il put ses fesses déjà enflammées et pencha la tête contre la vitre. C’était plus reposant ainsi.

             Fouad dont les yeux étaient restés cependant ouverts, scrutait les têtes de tous les passagers assis sur les cinq premières rangées placées devant lui. Il s’amusait à comparer les profils, les carrures et les nuques des voyageurs. C’est curieux pensa t-il, ce que les humains peuvent différer les uns des autres. Seul Dieu, dit-il, est en mesure de créer des milliards de modèles sans ressemblance entre eux.

             A la première rangée, devant Fouad et à l’extrême droite, était assise une jeune femme dont le profil avait depuis, quelques instants, retenu son attention. Au fil des secondes qui s’écoulaient, son regard s’immobilisait peu à peu et n’arrivait plus à se détacher de cette tête qui émergeait maintenant de tout le lot.

              Il est vrai qu’à partir d’un profil on peut parfaitement reconnaître une jolie femme. Placé de coté, Fouad pouvait noter la parfaite harmonie qui existait entre le front, le nez et le menton de la jeune passagère, ainsi que la belle chevelure, couleur miel qui lui tombait sur les épaules. Fouad qui alluma une cigarette, ne pouvait plus rien faire d’autre que de regarder.  Il avait une envie terrible de voir le visage de la jeune femme, de lui parler et de lui caresser les cheveux.

             Bien que loin d’elle, Fouad eut à un moment, la douce impression qu’une sensation de chaleur humaine lui envahit le corps, comme si son vœu venait à être exaucé. Mais à cet instant même, la jeune femme laissa choir sa tête somnolente sur le bord de son siège, soustrayant ainsi son joli profil au regard brulant de Fouad, lequel n’apercevait plus à présent qu’une tresse de cheveux qui trainait sur le dossier.

             Neuf heures cinquante. Encore un quart d’heure pour Casablanca ; Fouad alluma encore une cigarette et réajusta sa tête contre la vitre, tout en continuant à fixer son objectif. L’arrivée à Casablanca était fort attendue par Fouad. Tous les passagers allaient descendre pour changement de véhicule, après une pose de trente minutes à la gare routière. Là, il allait enfin la voir de face et peut être même lui parler. Une chose était en tout cas sûre, elle voyageait seule. Fouad le comprit au fait que la jeune fille ne parlait à personne et à la présence, à coté d’elle, d’un couple de paysans apparemment sans rapport avec elle.

            Il fut le premier à se lever dès l’arrêt du car à Casablanca. Une seule et unique chose préoccupait maintenant son esprit. La jeune femme allait-elle continuer le voyage vers Agadir ou descendre définitivement à Casablanca ? Dans quelques instants, il allait tout savoir. En attendant, il était fort inquiet.

 

           Après la bousculade habituelle de la descente, tous les passagers se retrouvèrent d’un seul coup, compressés, étouffés devant la malle arrière, chacun voulant récupérer sa valise avant les autres. Pourquoi cet empressement et ce piétinement animal ? Question de gagner quelques secondes ? Certainement pas. Il s’agit souvent de récupérer ses bagages avant qu’ils ne soient détournés par erreur ou par la main malveillante d’un kleptomane.  Fouad s’est trouvé subitement confiné dans la mêlée, entraîné tantôt à droite, tantôt à gauche, des fois propulsé en avant et des fois repoussé en arrière, dans une bataille où toutes les armes étaient utilisées : les bras, les hanches, les bustes et les postérieurs.

          Depuis qu’il mit pied à terre et eut enfin l’occasion de bien voir cette jeune femme, Fouad ne cessa pas un moment de la regarder. En prenant part à la bousculade et à la différence des autres voyageurs, il ne cherchait pas à arriver le premier à la malle arrière. Sa lutte avait un tout autre but, celui de protéger la jeune femme de la brutalité des autres  Elle ne tarda d’ailleurs pas à remarquer les gestes bienveillants de son ange gardien et à l’en remercier avec un geste de la tête et un sourire qui exprimait toute sa reconnaissance et sa sympathie. Ce fut la première satisfaction de Fouad et un encouragement qui lui fit oublier toute l’âpreté de la bousculade. Il en profita pour lui parler.

         - Ecoutez, lui dit-il, si vous pouvez m’indiquer vos bagages, je me charge de les prendre avec les miens, cela vous évitera la corvée.

        -  Merci infiniment monsieur, répondit-elle avec soulagement. J’ai une seule valise. Elle est rouge. Là, à coté de la grande sacoche beige.

        - D’accord lui dit-il avec empressement. La  grande sacoche est justement à moi. C’est parfait, maintenant vous pouvez vous retirer.

  

        Fouad était comblé. A partir de cet instant, il ne sentit plus rien, ne vit plus rien et n’entendit plus rien, jusqu’au moment où il se retrouva auprès d’elle avec sa sacoche et la valise rouge.

-         Merci, lui dit-elle, vous vous êtes donné beaucoup de peine pour moi. Vous êtes très chic.

-         Mais non, répondit Fouad très modestement, je ne me suis donné aucun mal. De toute façon, il fallait bien que j’aille retirer ma sacoche. J’en ai profité pour prendre votre valise.

-         Vous m’avez quand même épargné cette corvée, Monsieur

-         Fouad, je m’appelle Fouad se hâta–t-il de compléter.

-         Moi, dit-elle timidement et avec un sourire à peine perceptible, je m’appelle Majda.

-         C’est un joli prénom, commenta Fouad

-         Merci ajouta Majda.

Après l’échange de ces paroles, il eut, de part et d’autre, un silence qui s’expliquait en partie par la timidité de Majda et par le trouble très apparent de Fouad. Mais il était décidé quant à lui, de casser ce silence et de lutter de toutes ses forces contre cette stupide émotion qui s’était emparé de lui et le paralysait. Jusqu’à présent tout s’était déroulé comme il l’espérait. Il fallait donc et à tout prix, conserver ce contact et maintenir la conversation. Dire n’importe quoi, parler de lui, d’elle, de Casablanca, de la nuit, des étoiles… Peu importe.

-         Vous vous arrêtez à Casablanca ou vous continuez le voyage ? dit-il enfin et presque bégayant.

-         Hélas, soupira-t-elle, j’ai encore une longue trotte à faire, jusqu’à Agadir. Soit toute la nuit….Et vous ?

-         Ça tombe bien, moi aussi je vais à Agadir.

-         Vous habitez la- bas ou vous y allez en touriste ? demanda Majda.

-         Enfin, je suis en mission pour quelques mois au Sud. La société qui  m’emploie construit actuellement un barrage dans la région

Et si je vous posais maintenant la même question…dit Fouad avec un léger sourire

-         En ce qui me concerne, répondit-elle avec une certaine hésitation et en hachant les mots….c’est toute une histoire. Je retourne chez mes parents.

-         Vous étiez en vacances ? demanda naïvement Fouad

-         En vacances ? Oh ! Non…dit-elle en esquissant un sourire empreint de tristesse. C’est vous dis-je toute uns histoire. C’est long et pénible à raconter.

         Le sourire de Majda n’avait en effet rien de réjouissant. Fouad qui la regardait a pu lire dans ses yeux toute l’ampleur de sa détresse. Aussi et afin de ne pas l’importuner par des questions indiscrètes et embarrassantes, décida-t-il de changer carrément de sujet et invita la jeune femme à prendre une boisson en attendant le départ du car.

          Le seul établissement de la gare routière est un café maure où, à défaut de restaurant, les voyageurs se font servir des sandwichs au poulet ou à la viande hachée. C’est un lieu minable, mal entretenu et où l’hygiène laisse à désirer. Mais pour tous ces voyageurs nocturnes, il n’y avait pas le choix, à moins d’être prévoyant comme Fouad et d’apporter dans son sac de voyage du pain de maison, du fromage et quelques fruits.

          Une fois installés à l’intérieur du café, Fouad, un peu gêné, par la modestie de ses provisions, décida enfin de les déposer sur la table et invita Majda à partager son repas, ce qu’elle fit sans complexe. Elle tint même à faire des compliments à Fouad pour son sens de l’organisation et surtout pour sa simplicité.

 

         Au départ, Fouad se chargea des bagages et  fut le premier à sauter dans le car pour occuper deux places à la première rangée. Sa timidité du début avait complètement disparu. Il agissait à présent avec beaucoup d’assurance et de naturel. Une seule chose le préoccupait encore ; c’était de tout savoir sur cette « longue histoire de Majda ». Pour cela et avant d’arriver à Agadir, il disposait de plus de six heures pour la faire parler. Il savait maintenant, quant à lui, qu’il était désormais fort attaché à cette jeune femme dont il disait au fond de lui-même beaucoup de bien et qu’il trouvait merveilleuse.

         Majda était en effet une très belle créature, pleine de vie et de douceur. Agée à peine de dix neuf ans, d’une taille très fine, elle avait l’allure d’une étudiante avec son jean délavé, ses chaussures basses, son sac à main sport et sa toilette très simple, sans aucun maquillage ni ornement. C’était justement le genre de femme que Fouad avait toujours espéré rencontrer et avoir comme épouse. Majda allait-elle devenir la campagne de sa vie ? Fouad était en tout cas décidé à tout faire et à tout sacrifier pour concrétiser cet espoir. Durant tout le trajet Casablanca- Agadir, il n’a pas cessé d’y penser.

         Il fut le premier à raconter sa vie à Majda qui l’écoutait avec patience et beaucoup d’intérêt. Il lui expliqua qu’il était à la recherche d’une compagne à laquelle il voulait donner tout son amour et lui consacrer toute sa vie. Ce que je souhaite lui dit-il à deux ou trois reprises, c’est une jeune fille sympathique, douce et belle comme vous.

        Les paroles et confidences de Fouad, au fond très sincères, ne laissèrent pas indifférente cette jeune femme qui avait absolument besoin d’un tel réconfort psychologique. Visiblement sincère elle aussi, voire même un peu naïve, Majda percevait ces belles paroles comme une brise rafraîchissante et un élixir enivrant qui allégeait sa mélancolie et lui donnait plus d’espoir en l’avenir. Comme elle l’avoua elle-même à Fouad, elle était complètement abattue avant de le rencontrer. La franchise et la cordialité de ce jeune homme l’avaient en effet tellement détendue qu’elle décida d’elle-même de s’ouvrir et de tout lui dire sur sa vie.

 

        Issue d’une famille soussie très modeste, Majda a vu le jour et grandi à Agadir. Son père originaire de Taroudant s’installa en 1959 dans la capitale du Souss  où il fut engagé comme serveur dans un restaurant de la ville. Au tremblement de terre d’Agadir en 1961, Majda avait à peine quatre mois. Elle échappa miraculeusement à la mort étant la seule rescapée de la petite pièce où elle dormait avec sa sœur aînée et sa tante paternelle. Comme la plupart des sinistrés, ses parents s’installèrent à Inezgane, petite localité située à une dizaine de kilomètres d’Agadir. La famille a pu subsister pendant plusieurs mois grâce à l’aide alimentaire des autorités gouvernementales et aux petites sommes d’argent gagnées par son père dans des emplois temporaires.

      Majda qui avait gardé des souvenirs très vivaces de cette période difficile, fut habituée dès son jeune âge à la sobriété et aux conditions d’une vie modeste. Cette absence de confort matériel était cependant compensée par la grande harmonie et la parfaite entente qui avait de tout temps, régné entre ses parents et plus particulièrement par une affection sans borne que sa mère éprouvait toujours pour elle.Majda était ainsi restée sensible aux marques de sympathie  et de délicatesse de la part des autres. Pour elle, le confort matériel n’a jamais été l’unique agrément de la vie et la seule source de bonheur. Ce qui comptait pour elle, c’était de se sentir aimée et respectée.

      La perte de son père au moment où elle venait à peine d’atteindre ses quinze ans, l’avait beaucoup affectée. Mais avec le temps, elle a pu s’y faire grâce à la bienveillance permanente de cette vieille mère, une mère angélique auprès de laquelle elle trouvait toujours le meilleur soutien et éprouvait la plus grande sécurité. Au lycée, Majda a été de tout temps considérée comme une élève exemplaire. Intelligente, et méthodique, disciplinée et sérieuse, elle était unanimement estimée de ses professeurs.

     L’année 1980 allait cependant bouleverser cette sérénité familiale et scolaire et placer Majda dans un monde nouveau, un monde plus complexe et sans pitié, un monde plus réel. Cette année là, Majda qui avait réussi au Bac, s’installa dès le mois de septembre à Rabat chez Hadj H’mad, son oncle maternel, après son inscription à la faculté des lettres où elle opta pour une licence d’Histoire et Géographie. Sa mère était restée quant à elle, seule avec le dernier né de la famille, un garçon prénommé Saïd, venu au monde onze ans après Majda.

     Son oncle Hadj H’mad, soixante cinq ans environ, est un commerçant Soussi venu à Rabat à la fin des années trente. Comme tous les épiciers qui s’installèrent à cette époque, il fit fortune et comptait parmi les plus grands propriétaires fonciers de la capitale. Majda ne l’aimait pas beaucoup. Il n’avait, en effet, rien de commun avec la mère de la jeune fille, bien qu’il en soit le frère. Il était cupide et n’accordait aucun intérêt aux liens familiaux, sauf en cas de besoin. Seul l’argent comptait pour lui. Majda ne l’avait vu que deux fois auparavant. A la première fois, elle avait à peine six ans. Elle ne s’en rappelle que très vaguement. Et quelques années après, Hadj H’mad était venu rendre visite à sa sœur à la suite du décès de son mari, le père de Majda.

       Se sentant fatigué à la suite d’une attaque cardiaque, Hadj H’mad abandonna complètement la direction de ses affaires, il y a deux ans, à son fils unique, Abdelkader, un gaillard de trente ans, élevé dans la terreur des écoles coraniques et traumatisé dès son enfance par la rigidité d’un père trop strict, pour lequel les mots de liberté ou d’affection n’ont pas de place dans son vocabulaire. Hadj H’mad était pour cela très fier de sa personne. Il aimait souvent expliquer à son fils et à ses employés que, s’il avait réussi dans le monde des affaires et était arrivé à acquérir une aussi grande fortune, c’était avant tout, grâce à ses principes et à son savoir-faire.

       Dans la vie, aimait-il à répéter « il faut savoir faire des équations. A chaque dépense, il faut trouver une rentrée correspondante pour la compenser, sans cela vous aurez déficit après déficit et ce sera la faillite. ». L’arrivée chez lui de sa jeune nièce n’avait pas échappé à cette arithmétique. Majda était une bouche de plus à nourrir. Or, il ne pouvait pas le faire pour rien.

       En sa qualité d’oncle maternel de Majda, dit-il un jour à sa sœur, il se sentait responsable de son avenir. « La ville de Rabat, expliqua t-il, à la mère de Majda, n’a rien de comparable avec la cité paisible d’Agadir où les habitants ont encore un certain respect pour nos vieilles et bonnes traditions. Il serait par conséquent malheureux, ajouta t-il, de laisser Majda, une fille élevée dans une ambiance familiale saine et religieuse, aller comme ça, vers l’aventure… Vivre à la Faculté, continua hadj H’mad, au milieu de centaines d’étudiants et de jeunes enseignants, constitue pour cette fille un véritable risque.  Et ni toi ni moi, n’avons le droit de l’exposer à un tel danger. Il faut donc la marier. C’est ce que veut la tradition et c’est ce que nous enseigne notre religion ». Bien entendu, continua Hadj H’mad sur un ton faussement paternel et désintéressé « je ne veux pas que Majda que je considère comme ma propre fille, épouse le premier venu. Ça serait la pire des calamités et c’est précisément ce que nous devons craindre et éviter. Majda est une fille issue d’une famille respectable, il lui faut par conséquent un mari qui soit lui aussi de bonne souche. Et, pour cela, ma chère sœur et en toute franchise, conclut Hadj H’mad après une pose de quelques secondes, je ne vois pas pour Majda, un homme plus garanti que mon fils Abdelkader.

      C’était là l’équation de Hadj H’mad.

 

     Le car venait d’arriver à Marrakech. Il était deux heures du matin. La gare routière est située à la célèbre place Jamâa el Fna. Animée et grouillante pendant le jour, la place est presque déserte la nuit. Boutiques et stands étaient tous fermés. Plus de tam tam non plus, ni de charmeurs de serpents.  Seuls quelques rares marrakchis déambulaient encore, avec leurs amples gandouras, respirant l’air pur et frais d’une nuit étoilée.

     Pour le gros maâlem Ali, célèbre marchand de harira, c’était l’un des moments de pointe. Deux autres cars venaient en effet d’arriver de Béni-Mellal et d’El Jadida. Tous les voyageurs s’étaient précipités chez le maâlem Ali  pour déguster un bol  bien chaud de harira, une soupe piquante préparée aux épices de Marrakech.

     Fouad et Majda optèrent pour le café de la CTM. Lui demanda un café crème et elle, un lait chaud, avec des croissants pour les deux. Les quelques heures passées ensemble et l’échange de leurs confidences, les avaient rapprochés l’un de l’autre. Fouad qui n’avait pas l’habitude de s’amouracher trop rapidement, semblait cette fois-ci bien enflammé. Il lui était cependant très difficile de savoir ce qui se passait dans l’esprit de Majda. Ce dont il était toutefois sûr, c’est qu’elle le trouvait fort sympathique et de compagnie agréable. Fouad le savait parce qu’elle avait déjà eu l’occasion de le lui dire elle-même. Il voulait savoir beaucoup plus.

      Agé à peine de vingt sept ans, beau garçon, cadre technique important dans une grande société, libre de tout engagement sentimental, Fouad avait tous les atouts pour plaire à une jeune femme. Mais est-ce que toutes les femmes ont les mêmes critères de choix en amour ? Y-a-t-il  d’ailleurs une logique en amour ? Toutes ces pensées et mille autres encore torturaient le pauvre Fouad et lui serraient le cœur.

       La halte de Marrakech terminée, Fouad et Majda reprirent leurs places et le car entama sa dernière étape, Marrakech-Agadir, une trotte de deux cents cinquante kilomètres. Quatre heures de route. Majda fut la première à rompre le silence. Elle avait grande envie de terminer son récit. Question de se vider le cœur comme on dit. Mais avant de continuer, elle voulut savoir ce qui préoccupait l’esprit de Fouad dont elle avait remarqué l’attitude abstraite et quelque peu anxieuse.

       - A quoi pensez-vous, lui dit-elle en penchant la tête vers lui.

       - En toute franchise, je pense à vous répondit Fouad. Vous savez Majda, ce que vous appelez votre « histoire » est celle d’un grand nombre de jeunes marocaines. Ce que je voudrais savoir, avant de vous laisser terminer, c’est votre situation actuelle. Et cela m’intéresse en premier lieu.

       - Je suis divorcée, autrement dit libre…révéla Majda, avec un sourire et en déposant sa main sur l’épaule de Fouad.

      La réponse de Majda le secoua tellement profondément qu’il ne pût prononcer le moindre mot. Son cœur partagé entre l’espoir et la crainte, tira davantage sur ses cordes. Il fit tout un effort pour dissimuler son trouble et se contentait de la regarder avec admiration, l’air satisfait et une envie irrésistible de l’embrasser et de la serrer dans ses bras. Elle est libre…elle est libre…elle est libre…C’étaient les seuls mots qu’il ne cessait pas de répéter au fond de lui-même, durant toutes les secondes qui ont suivi la réponse de Majda.

       - En réalité, reprit-elle, c’est moi qui demandai, exigeai et obtins le divorce. Figurez-vous que mon mari était déjà marié quand il m’a épousée

-         Et vous avez accepté de le prendre pour époux ?

-         Je ne savais rien sur sa situation et personne d’autre d’ailleurs n’était au courant de son premier mariage, pas même ses parents et encore moins sa mère, à laquelle, d’habitude, il ne cachait rien.

   

   Majda qui lâcha un profond soupir, marqua un temps d’arrêt avant de continuer son récit.  Abdelkader, dit-elle, avait connu à Rabat une prostituée prénommée Hafida qu’il fréquentait à l’insu de ses parents. Il fut par la suite contraint de l’épouser quand elle lui annonça une grossesse de trois mois.

    Connaissant le caractère irascible et rigide de son père, Abdelkader n’eut jamais le courage de lui en parler de peur d’être tout simplement chassé de son travail, voire même déshérité. Hadj H’mad est un homme intraitable, toujours hostile aux concessions. Cette situation dura plus de treize mois avant l’arrivée de Majda et son mariage avec le cousin. Abdelkader qui continuait d’habiter avec ses parents, ne voyait sa première femme que pendant le jour, dans un petit appartement de deux pièces qu’il avait pris en location.

     Avant l’établissement de l’acte de mariage avec Hafida, établi dans la plus grande discrétion, les deux mariés s’étaient mis d’accord sur deux points importants. Abdelkader acceptait de prendre Hafida pour épouse et cette dernière s’engageait à éviter tout ce qui était ou pouvait être de nature à nuire aux rapports de son mari avec son père Hadj H’mad, lequel devait tout ignorer sur cette union. Pour convaincre Hafida à admettre cette clause, Abdelkader lui avait promis de mettre au courant son père dès qu’une occasion propice se présenterait. En attendant, Hafida donna naissance à une fille au mois d’aout, soit trois à quatre semaines  avant l’arrivée de Majda qui ignorait tout de cette situation.

       C’est extraordinaire ce que la vie peut nous réserver parfois comme surprises et nous faire vivre des circonstances, auxquelles nous n’aurions jamais pensé ou que nous n’aurions même jamais conçu dans notre imagination. Eh ! Oui, Majda n’avait pas un seul instant pensé au mariage en venant à Rabat, en tout cas avant de terminer ses études. Pourtant, tout se passa rapidement et subitement comme dans une catastrophe.

      Majda fut cependant autorisée à poursuivre ses études à la Faculté. C’était là une concession de la part de Hadj H’mad pour lequel, une jeune fille de 19 ans, sortant comme ça, toute seule,  constituait une grave entorse aux traditions.

 

     Cette union ne devait pas durer plus de deux mois. En effet, Hafida ne put se contenir malgré toutes les supplications et les promesses d’Abdelkader.

« Essaie de me comprendre dit-il à Hafida, ce n’est pas de ma faute si Majda est venue s’installer chez nous et si mon père, tout seul et sans me consulter,  a décidé la conclusion de ce mariage. Vous ne connaissez pas la mentalité de tous ces gens de la génération de mon père. De plus, ce dernier ignorait que j’avais déjà une épouse et une fille. Ecoute, c’est un malheureux concours de circonstances….Laisse-moi le temps …Je vais tout arranger. Fais-moi confiance. »

    Hafida qui refusa de l’écouter, alla s’enfermer dans sa chambre, laissant Abdelkader seul et désemparé, debout dans le vestibule, ne sachant que faire et plus quoi dire. A la différence de son mari, Hafida est une femme effrontée et très rusée. Le lendemain, pendant qu’Abdelkader était à son commerce, elle prit un taxi et se rendit à la Faculté des Lettres à la recherche de Majda qu’elle mit au courant de toute la situation, lui montrant l’acte de mariage et lui présentant la fille d’Abdelkader.

    Pour Majda, ce fut le jour le plus lugubre et le plus long de son existence. Non pas qu’elle tenait outre mesure à son mari, mais parce qu’elle se voyait désormais engagée malgré elle, dans une situation dramatique et fatale pour son avenir et ses études.

 

     Avec Majda, Abdelkader n’eut aucun problème. Mise au courant par Hafida de tous les détails et des circonstances dans lesquelles  avait été conclu le premier mariage, elle n’a eu besoin que de quelques mots pour convaincre Abdelkader et l’amener à la suivre devant le juge pour la séparation.

      « Dès que j’aurai en main mon acte de divorce, lui expliqua-t-elle, je rentrerai à la maison pour prendre mes affaires et partir sur Agadir. C’est toi qui parleras à ton père ; tu me feras endosser toute la responsabilité de la rupture. Tu lui diras que je voulais absolument rentrer chez moi et que j’avais même l’intention de me suicider. Voila. Je te promets, ajouta Majda, avec les larmes aux yeux, de garder à jamais le secret de notre séparation »

     Majda qui venait de terminer ce récit, ne put se retenir, fondit en larmes et se laissa choir sur les genoux de Fouad,  lequel passa une main sur la joue encore humide de la jeune fille et, de l’autre, il lui caressa les cheveux. Puis, tout en balbutiant quelques douces paroles de consolation, il la releva doucement, l’appuya contre sa poitrine et l’étreignit entre ses deux bras qui tremblaient d’émotion et d’amour. A part l’affection ressentie durant les longues années qu’elle vécut auprès de sa mère, Majda n’avait jamais et jusqu’à ce jour, connu une telle tendresse. Dans les bras de ce jeune homme qu’elle venait à peine de rencontrer, elle était heureuse et se sentait en sécurité. Les battements du cœur de cet homme qui l’aimait et qu’elle entendait distinctement, lui parcouraient tout le corps et lui donnaient une extraordinaire sensation de bonheur.

      Un grand amour venait ainsi de naître…

      Fouad et Majda avaient tous les deux des larmes aux yeux, des larmes  jaillies de leurs cœurs pour sceller cette union émouvante, entre deux âmes innocentes, deux êtres, créés l’un pour l’autre. Fouad qui avait saisi la main de Majda eut un frémissement quand il sentit des doigts fins et soyeux se faufiler entre les siens, les entrelaçant et les serrant très fort. C’était la meilleure marque et la plus belle expression de cet amour cristallin et encore tiède comme les premiers rayons du soleil qui vient de pointer à l’horizon… On n’était pas très loin d’Agadir.

     

     Quel beau paysage que celui qu’on aperçoit à l’aube, en traversant les montagnes de l’Atlas aux rochers multicolores. Majda regardait avec nostalgie les arganiers défiler à travers la vitre. C’est l’arbre caractéristique de la région du Souss, sa terre natale. Elle pensait déjà à sa mère et à son jeune frère et à ce qu’elle allait leur dire en rentrant à la maison. Elle revenait chez elle sans aucun complexe et n’éprouvait pas de honte à la suite de sa mésaventure. Son bref séjour à Rabat et son mariage malheureux avec Abdelkader l’avaient quelque peu aguerrie et rendue plus lucide face aux problèmes de la vie. Elle se sentait maintenant plus émancipée et plus responsable de sa destinée… Ni sa mère ni toute autre personne ne pouvait plus désormais lui dicter sa conduite. C’est du moins ce qui lui passait par la tête.

      Il fallait cependant ménager les traditions de la famille et faire éviter à sa mère un choc qui risquerait de lui être fatal. Majda était devenue en effet le seul espoir de cette vieille femme  et sa raison d’être dans la vie. Comment la convaincre de ce divorce inattendu, sans la décevoir et la faire souffrir ? Comment lui faire admettre les nouvelles relations avec Fouad, un jeune homme dont elle n’a jamais encore entendu parler ? Et les études ? Fallait-il les interrompre ? C’était là autant de questions qui préoccupaient Majda. Elle préféra cependant taire ses soucis et ne pas en faire part à Fouad, espérant qu’avec le temps tout s’arrangerait.

 

     Il était 6 heures et 50 minutes quand le car arriva à son terminus au nouveau Talborjte à Agadir. Fouad souhaita que le véhicule ne s’arrêtât point et continuât sa route encore plus loin. Il ne put, en effet, se faire à l’idée, que le moment de quitter Majda était venu…Elle éprouvait la même affliction. Elle eut cependant le courage de parler la première.

-         Ecoute Fouad, je devine ce que tu ressens en ce moment, lui dit-elle, en le tutoyant pour la première fois. Dieu seul sait ce que j’éprouve moi aussi, mais je pars quand même, chez moi, avec l’idée très agréable d’avoir rencontré un homme très aimable et avec tout le plaisir et la joie que je ressens d’avance à l’idée de te retrouver, comme convenu, le samedi à 18 heures devant la grande poste. Majda qui tenait sa petite valise rouge à la main, allongea le cou et embrassa Fouad sur la joue. Elle se dirigea ensuite vers la longue file de taxis qui attendaient et prit la première voiture.

   Fouad resta sur place, immobile, suivant du regard la belle silhouette de Majda qui s’éloignait devant lui. Dès qu’elle referma la porte du taxi, elle le salua à nouveau d’un léger geste de la main. Il ne voyait plus en ce moment que le profil de Majda, ce même profil qui le subjugua la veille et qui lui est devenu maintenant plus familier et plus intime

 

   Durant tout le trajet qu’il fit pour regagner son domicile en ville nouvelle et durant toutes les heures qui ont suivi, Fouad ne pensait plus qu’à Majda et au jour de la rencontre. C’était mardi et il fallait attendre jusqu’à samedi soir. En dépit de l’état de fatigue et de la nervosité qui caractérise toute attente amoureuse, Fouad se sentait heureux. Le bon Dieu dit-il, m’a comblé en me donnant Majda et exaucé ainsi les vœux de ma mère, cette femme adorable que je considère comme une Sainte. Ne l’avait-elle pas en effet, fait venir à Rabat pour lui présenter celle qui devait devenir sa femme ? Les choses ne s’étaient guère passées comme prévues ; mais le but du voyage était atteint. Comme le pensait Fouad, tout le bienfait revenait donc à da mère.

       Le samedi, Fouad passa toute la journée à préparer la rencontre avec Majda. Même au travail il continuait à penser aux paroles qu’il allait lui dire le soir, à la manière dont il fallait désormais se conduire avec elle et à mille autres petits détails concernant le décor de son petit appartement, au genre de roses à acheter et aux boissons à servir. Il éprouvait, en attendant, une terrible envie de la serrer dans ses bras et de la couvrir de baisers. A dix sept heures, le samedi, il se trouvait déjà devant la poste. On ne sait jamais rien, pensait-il, Majda pouvait bien, comme lui, venir avant l’heure. «  Elle m’aime beaucoup dit-il ; elle doit, elle aussi, attendre impatiemment ce moment de la rencontre ».

       Les employés des PTT commencèrent déjà à sortir. Fouad regarda sa montre bracelet. Il était 17h 58. Avait-il du retard, Certainement pas ; il avait toute l’après midi contrôlé l’exactitude de sa montre. Il se rappela que certains fonctionnaires trop pressés pour partir chez eux, sortaient souvent avant l’heure. Il fallait donc attendre encore. Enfin un chaouch en tenue des PTT, poussa l’un après l’autre, les deux battants de l’entrée principale de la poste.

      Dix huit heures et quelques secondes….

      Fouad devint plus attentif et regardait de chaque coté de la rue. Majda ne paraissait toujours pas.

-         « J’attendrai, j’attendrai toute la soirée s’il le faut » murmura Fouad quelque peu contrarié et le cœur battant. Elle viendra…Majda n’est pas la fille à mentir. Oui, je suis sûr qu’elle viendra »

 

       Fouad attendit effectivement plus de deux heures sans voir venir Majda. Il n’avait jamais auparavant, surveillé avec une telle attention et une telle patience, le mouvement circulaire des aiguilles d’une horloge. Visiblement énervé et déçu, il décida, après réflexion de se rendre au domicile de Majda. «  Heureusement, dit-il, en hâtant le pas, que j’avais pensé à lui demander l’adresse de ses parents. Elle est peut-être malade. Ce ne serait pas étonnant après toute la souffrance qu’elle a enduré, à la suite de sa mésaventure. »

       Fouad n’eut aucune difficulté à retrouver le domicile de la famille de Majda, une maison située au quartier populaire dit ‘’ Prince Héritier’’. C’est une femme de la soixantaine qui lui ouvrit la porte. De petite taille, le teint pâle et les cheveux couverts par un morceau de tissus blanc en guise de foulard, la mère de Majda semblait visiblement troublée par la visite de cet inconnu. Derrière elle, accroché aux habits de sa mère et ne montrant que la tête, se tenait le petit Saïd, le frère de Majda.

-         Que voulez-vous demanda la dame ?

-         Vous êtes bien la mère de Majda ?

-         Oui, c’est bien moi…Qu’est-il arrivé à ma fille ? j’implore Dieu, son prophète et Sidi H’mad Ou Moussa pour protéger ma fille unique, bafouilla la femme, complètement troublée

-         N’ayez aucune crainte Madame, se hâta Fouad de répondre. Je ne suis porteur d’aucune mauvaise nouvelle. Je suis un ami de Majda et je suis justement venu demander après elle…Elle devait me voir aujourd’hui à 18 heures

-         Entrez Monsieur dit la dame, un peu soulagée mais encore toute tremblante.

      Fouad suivit la femme qui le fit entrer dans un petit salon marocain, sans fenêtre et modestement meublé. La pièce dont les murs portaient des traces d’humidité, sentait un peu le confit. Le jeune homme prit place sur un sofa à coté de la dame et alluma une cigarette, une manière de calmer l’angoisse qui s’était emparée de lui. Sur le mur, juste en face de lui, était accroché un grand portrait de Majda. A sa vue, son cœur bondit dans sa poitrine. Majda paraissait encore plus belle et plus fraiche dans cette photo récente, prise selon la mère, quelques jours après sa réussite au BAC. Fouad avait l’impression qu’elle le fixait du regard. Il resta ainsi muet et absent jusqu’à ce que la mère de Majda interrompît sa rêverie.

-         Vous êtes dit-elle, si je ne me trompe, Monsieur Fouad.

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12/03/2009
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